De Sophocle à Claudel en passant par Duras et Marivaux, Jean-Christophe Blondel n'en finit pas d'élargir le champs de ses ouvertures sur le monde et ses découvertes à travers les textes et des auteurs qui sont souvent des révélateurs, voire des révélations.
C'est le choix qu'il a fait avec Fredrick Brattberg, un auteur norvégien dont les deux courtes pièces qu'il propose jettent un regard corrosif sur la manière d'aborder les difficultés de la parentalité dans le nord de l'Europe.
Dans ces pays où les cœurs s'enveloppent volontiers dans des gangues de givre, c'est une constante que de situer les problèmes complexes qui régissent les rapports s'établissant entre les parents et les enfants beaucoup plus au niveau de l'analyse du comportement que de celle d'une approche réellement instinctive et pour tout dire amoureuse.
Les deux exemples que présente « La Divine comédie » sont significatifs d'un mal-être dont les conséquences sont en tout point glaçantes !
Dans la première qui frôle le fantastique, on voit un couple laminé de douleur par la disparition de leur fils et qui guette un retour auquel il ne s'attend pas et pour cause ! Et voilà que soudainement, le « disparu » revient au bercail. Etait-il réellement mort ? Revient-il dans le monde des vivants pour tenter de retrouver sa place autour de la table familiale ?
Les parents – et les spectateurs avec eux - ne se posent pas la question. Le fait d'être là suffit à leur joie retrouvée jusqu'à ce que ce fils prodigue disparaisse à nouveau pour revenir encore... et ainsi de suite dans un long va-et-vient entre la réalité et le pays des morts-vivants.
Mais bientôt, l'éventualité progressive d'un non-retour distille chez les parents une anxiété qui fait place aux bonheurs des retrouvailles. L'exaspération, enfin, devant tant d'acharnement à vouloir vivre aboutit à un même acharnement à le faire mourir une bonne fois pour tous.
C'est une fable cruelle sur un amour dont on ne sait que faire et qui, d'une certaine manière pourrait être le prolongement de la pièce qui la suit et qui met en scène un jeune couple encombré d'un amour qu'il maîtrise mal.
Eux, aussi, comme dans « Retours », ont le cœur qui déborde devant la naissance de leur petite fille. Mais les réalités de leur vie font rapidement déraper leurs illusions à la vitesse d'un train un peu fou qu'ils n'arrivent pas à quitter comme ils ont du mal à s'adapter au rythme d'une nouvelle vie.
Dans ce « Winterreise » (qui n'a rien à voir avec celui de Schubert) les poncifs sur les joies de la parentalité éclate en morceaux.
On retrouve dans ce théâtre venu du froid, les composantes qui font les caractéristiques du cinéma nordique comme l'angoisse, la névrose, la difficulté d'être, celle de se faire comprendre ou de mieux comprendre les autres... le tout additionné d'une certaine dose d'absurde qui touche au pathétique.
Dans sa mise en scène, Jean-Christophe Blondel manie ses personnages comme des marionnettes un peu déjantées et Valérie Blanchon, Sylvain Levitte, Guillaume Laîné et Albertine Villain-Guimmara leur donnent une crédibilité à la fois quotidienne et surréaliste d'une grande justesse avec juste ce qu'il faut d'excès sans jamais aller jusqu'à l'outrance.
Dans un décor qui permet aux deux spectacles de trouver une identité commune, on découvre un théâtre étonnant. Sans concession, d'une grande pertinence dans l'observation des rapports conflictuels qui régissent les personnages et Jean-Christophe Blondel s'emploie grâce à un décor quasiment unique à trouver la bonne "accordance" entre l'esprit et l'action avec ce qu'il faut d'humour pour gommer les aspérités d'un propos qui deviendrait gênant s'il était pris au pied de la lettre. Mais la tonalité est au rire et même s'il grince quelque peu, il n'en est que plus efficace et au bout du compte régénérant..
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François Vicaire, THEATRE EN NORMANDIE
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