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OEDIPE A COLONE
LE CHANT DU CYGNE
Mais alors, votre renommée ? Votre gloire ? Des mots ? Du vent ? Tout ce qu’on dit sur Athènes la pieuse, refuge des exilés en danger, oublié tout ça quand il s’agit de moi ?
Œdipe n’aurait jamais dû naître. Du fait d’un crime abominable commis par son père, ses parents étaient condamnés par les Dieux : si un fils venait à naître, il tuerait son père et ferait avec sa mère une lignée maudite. Œdipe naquit, ses parents tentèrent de le tuer, il fut sauvé en secret, vécut sans connaître ses origines, et réalisa sans le savoir la malédiction. Lorsqu’au sommet de sa gloire, alors roi de Thèbes et père de deux filles et de deux fils, il comprend ses origines et ses crimes, il se crève les yeux puis part, mendiant, sur les routes, avec sa fille Antigone.
La pièce commence à son arrivée à Colone, campagne d’Athènes, près du bois sacré des déesses Euménides : c’est dans ce no man’s land que, selon les oracles, il devait finir sa vie, bénissant par son corps la patrie où il serait enterré. La pièce sera le temps d’une bataille pour conquérir ce droit à mourir là, contre le peuple athénien qui a peur de cet homme maudit, et contre les deux fils, qui se disputent le trône de Thèbes laissé par leur père : sa dépouille sacré leur garantirait la victoire. A moins que l’enjeu ne soit simplement d’arriver à se parler à temps, pour que la mort du père ne laisse pas les enfants dévastés par des querelles irrésolues.
Que faire du vieil Œdipe, trop sale, trop laid, trop malpoli, s’asseyant toujours où il ne faut pas, prenant tout de suite beaucoup trop de place dans la vie de la cité, usant tout le monde avec son égoïsme mégalomane et sa franchise brutale, anti diplomatique ? Il rendrait tellement plus de services mort que vivant…
Dernière pièce de Sophocle, alors âgé de plus de quatre vingt ans, Œdipe à Colone est un trésor de l’humanité. Elle entremêle des thèmes qui nous sont essentiels. Il y est question de l’acceptation, des étrangers, des plus âgés, des « inutiles », de tous ceux dont le chœur des citoyens d’Athènes se demande ce qu’ils vont coûter, et que leur roi Thésée décide d’accueillir au prix fort.
Aujourd'hui, il y a 240 millions de migrants, quatre fois plus qu'il y a quarante ans. l’Europe toute entière fait face à la tragédie de milliers de migrants en danger. Bruxelles joue le rôle d'Athènes, qui elle-même est devenue le paria de Bruxelles, et se pose en critique, comme Œdipe, de nos valeurs et de notre politique.
La famille errante et désunie d’Œdipe nous renvoie aussi à nos familles, rancœurs et querelles, aux « places » que nous y occupons, celle de l’enfant non désiré, du traître, de l’égoïste, de la préférée, de la sacrifiée. Peut-on dépasser la place allouée, peut-on, contre la fatalité, être acteur de sa vie, agir sur le monde ?
Difficile, Sophocle ? Irréductible à la simplification en tout cas, et c’est à la charge des artistes d’envoyer les signes qui font sonner immédiatement, d’une manière sensuelle, émouvante, saisissante, la profondeur polysémique de cette fable ancienne. La musique live en permanence, la sensualité de la scénographie et des lumières, la grande fluidité de la traduction, et l’humour féroce et vivifiant – cette « politesse du désespoir » dont nous avons absolument besoin – tout cela rend à Sophocle ce qu’il est, un grand auteur populaire qui réjouit, interroge, élève.
Texte
(Sophocles) SOPHOCLE
Traduction
Nicolas WAPLER
Mise en scène
Jean-Christophe BLONDEL
Dramaturgie
Christèle BARBIER
Scénographie
Jean-Christophe BLONDEL
Jeu
Franck ANDRIEUX
Benjamin DUBOC
Michel GRAND
Alexandra GRIMAL
Pauline HURUGUEN
Claude MERLIN
Albertine VILLAIN GUIMARRA
Musique sur scène
Benjamin DUBOC
Alexandra GRIMAL
Création lumières
Mathilde CHAMOUX
Création costumes
Sonia BOSC
Captation vidéo & montage
Atsuhiko WATANABE