Pourquoi Maeterlinck avec ces aveugles, dans le monde d'aujourd'hui ?Il y a chez Maeterlinck un renversement tragique de la morale des fables, où le travail des hommes, vertueux ou criminels, rencontre un destin aveugle ; et aussi, un désir de dépasser tout message pour inviter l’homme à renouer une relation avec les signes qui l’environnent, qu’ils lui viennent de la nature ou de son inconscient – l’une pouvant servir de miroir à l’autre.
Cette reconnaissance d’une destinée aveugle, ce désir d’une écoute des signes les moins explicites qui nous entourent, sont nécessaires dans le monde matérialiste d’aujourd’hui. Je crois qu’on pourrait voir dans les œuvres introspectives et fantastiques de David Lynch, de Apichatpong Weerasethakul, du chinois Zhang Ke, un renouvellement de l’écriture symboliste, la même veine poétique répondant aux mêmes manques profonds.
L’œuvre résonne ici avec l'expérience de vie de ses interprètes. Voir ou ne pas voir, physiquement bien sûr, mais aussi, voir son destin vous échapper, sentir l’aveuglement du sort qui s'abat sans aucune justice, tout cela fait écho en eux, loin du message officiel selon lequel le succès accompagnerait le mérite. Mais la sensualité du texte leur parle aussi. Le corps des personnages exprime ce que leur esprit ne voit pas, en sentant autrement le monde autour d'eux (l’eau sur les yeux, la lumières sur les mains), en exprimant avec force les mouvements intérieurs (par la maladie, la sueur, la pâleur sur le visage, le frisson de froid ou de chaud). Il y a chez eux un désir et une aptitude particulière pour dire sur scène cette part de leur vie, cette relation si aigüe de leur corps au monde.